lundi 4 avril 2016

Rencontre imaginaire... (Récit romanesque)




Le cèdre symbole du Liban


De la terre d'Orient, majestueuse beauté, du sable éternel est née la femme que j'aime et qui m'aime. De ce pays des contrastes issu de la nuit du destin, une âme nouvelle, et pure, et belle, est descendue du ciel pour réconcilier tous les hommes dans le respect de la tradition.
De ton courage, mon amour, je me nourris pour brandir fièrement le sceptre de la justice au nom du pardon. Car mon coeur saigne de tous ces hommes qui se perdent dans le miroir sans tain des imposteurs.
Du cèdre de Bécharré, austère et solitaire, tu as la détermination, des genêts sauvages du Chouf, tu incarnes les couleurs vives, de la source d'Adonis jaillissant de la grotte d'Afqa tu as la force et le caractère tantôt vert et cristallin ou sanguin et violent.

Personne ne se préoccupait de mon coeur perdu parmi les méandres des forêts inhumaines de béton armé, sous les reflets amers du soleil insolent et moqueur qui ne laisse que ton ombre porter sur mes illusions perdues. C'est alors que tu es partie du sanctuaire d'Allah, couronnée d'images de cimes enneigées, de vallées étroites et de mer, et j'ai senti l'odeur des résines et de l'encens, de l'ambre et du musc, recouvré l'écorce noire aperçue dans le bois sacré sur tes cuisses frôlées, les veines résinifères aux fibres courtes, et senti ce grain si fin, tendre et précieux, et alors je t'ai aimé.


Mon amour, tu es fille de l'Orient, ton corps est de sable fin qui se forme sous mes doigts, du vent tiède qui souffle dans mes cheveux, de myrrhe âcre qui m'enivre les sens et brûle ma volonté.
Tes yeux regardent le désert et dessinent les dunes, tes bras s'ouvrent sur les forêts de cèdres et tracent des canyons, l'eau et la terre, tes seules richesses, se fondent dans ce Liban de neige et de feu, ce paradis maudit si proche de l'enfer.

Danseuse, ton corps fend le tissu pourpre de ta robe pour mieux disparaître aux regards des hommes ; c'est toi qui garantit seule cette beauté sauvage avant de t'assoupir entre mes bras, bercée par le chant des cigales, qui pour t'être agréable écartent la nuit et couvrent le vent, pour laisser le rêve prendre place au creux de ton coeur. Le vacarme était rouge, la nuit sèche et épaisse. Frissonnant, le mois d'octobre fût une coccinelle quand, par-delà les murs de pierres, mon amour, tu transportas ton âme du Levant en Provence. Tu allais par les chemins du travail routinier, dossiers portés au pinacle de la souffrance des hommes dans ce temple de verre dressé au nom de la connaissance, automate au service des petits chefs des bureaux annexés. Que j'ai adoré tes inclinaisons polyglottes, ta peau d'albâtre, tes yeux clairs et le soleil de ton rire, et ta bouche, perle ourlée offerte à mes caprices.

Notre maison dans la rosée du matin, ruelles ombragées, des draps froissés, de plumes envolées, quelle vérité de notre amour interdit s'envolera de notre vie, pour finir entre les horizons de l'ordre et du sommeil ?

Dorénavant, mon amour, nous serons chez nous là où les cedrus libani peuplent les montagnes noires en ta chambrée déjà flottent des anémones sauvages, pour t'accueillir est venu le printemps nu aux bras chargés de fleurs.

Tel un papillon suspendu au gré des caprices du vent, ta blanche main s'envola vers le jour naissant d'une vie nouvelle et la lumière entra comme une rose éclose au seuil du jardinet. Couleur de Phénicie ma vie s'illumina des neiges éternelles.

Voilà poindre l'aurore : la nuit, doucement, a chu entre tes caresses de jour et tes yeux de soleil, aujourd'hui déboule des montagnes noires et nul ne pourra stopper la fureur du jour qui s'impose.

Rien ni personne ne se dressera devant le torrent de tes bras, ni moi, pas plus que la fatigue sur tes épaules, mon amour ; tu es la magnificence du temps qui passe, comme l'éclair purifie le ciel noir de sa blanche zébrure pour éclairer les ténèbres du destin de l'ange céleste, car c'est à toi que le ciel a donné des ailes pour te porter jusqu'à moi. Mystérieuse révélation, tu as été le démon de mes plaisirs.

C'est pour cela que j'écris ces mots épars le jour, et que je les offre à la criée des chemins de vie la nuit, dédiés à ta chair où la clarté du fusain repeint les lignes obscures.


La guerre civile libanaise


L'homme et la femme amoureux ne font qu'un même songe, une perle de rosée, une seule, accrochée à la rose des sables. Leur unique ombre glisse derrière eux lorsqu'ils descendent du lit pour gagner la rive. La vérité des amants heureux se porte sur leur visage : ils sont liés par l'asabiyya, l'esprit de corps des légions arabes, cet honneur qui n'a pas déchiré la paix mais porté les paroles au-delà des fusils pour réunir tous les frères ennemis.

Il n'y a donc aucune immobilité. Tout n'est que mouvement perpétuel, et du dévoilement naquit la lumière exhortée des nuits abyssales, lorsque enfin tu me fis mander et me demandas de venir avec toi.
Pour moi, désormais, il n'existait plus de nuit sans lune car l'étoile céleste brillait au cœur de ma vie au-delà de la mort et du vide. L'algie du désespoir que ressent le solitaire qui marche vers un improbable destin avait disparu à l'approche de ta bouche, et les saignements de mon âme piquée des ronces de l'amertume avaient fertilisé les champs de compassion que mon coeur cultivait par delà les limites du monde, en secret des hommes, pour les aider malgré eux et les choyer en dépit de leur vanité. Alors de nouveau ma bouche a senti jaillir l'eau verte et cristalline qui a noyé les ronces et les chardons brûlés, et purifiés les rues où clament à pleine poitrine les chants de gloire.

Al Safina, le navire de la Rédemption largua les amarres dans la nuit étoilée et flottent les amants sur les pétales des oeillets et des lys sauvages que la foule lance par poignées.

La mer vient à toi pour te baigner les pieds et parfumer tes pas moulés dans le sable fin ; tu es femme et la flamme éclaire ton coeur pour te mener vers les prairies de la fécondité. Fasse le ciel que rien ne vienne te tourmenter, pas même l'éclat du soleil ! L'amour se doit d'être le printemps de ta vie et loin tu te dois d'être belle, évanescente à l'écume d'argent. A la lueur de la lune d'Orient ta cuisse inondera les terres et les anges reconnaîtront sur l'éternel cristal ta beauté magnifiée par l'enfant que tu porteras.

Loin de toi il m'est impossible de ne pas te rechercher chez toutes les femmes, emporté par les remous, captivé par les rapides des torrents féminins, pour un regard, des cheveux au vent, une cheville fragile, je te vois, je suis le pénitent privé de sa Rédemption de grâce. Je crois parfois, soudain, apercevoir ton pas dans la foule, vif, volontaire, il m'entraîne derrière l'ombre de l'amphore, ou bien est-ce ta chevelure qui ondoie entre les carrés de soie, et je vois le feu de ton image brûler entre la mer de mes yeux. Je fouille les visages, aucun n'a ta respiration ni ta splendeur, ton teint de princesse, tes traits oblongs de Phénicie, non, pas une ne possède cette jouvence première. Toi seule tu es toutes, toi seule tu es pour moi, et quand enfin je t'ai rejoint, alors je peux naviguer sur le delta en jupons de la mer de la fertilité.

Nos nuits éblouissantes se déroulent par delà les flots, si denses en nos coeurs comme une rose
des sables ou la magnificence du nectar ponctué d'amertume fortifie l'édification de notre amour.

Tu es femme, pomme d'amour, rose de miel, douce effluve marine, argile façonnée de soleil. Entre tes bras palpitent les fruits de la passion, mais quel est donc ce souffle chaud qui hante mes nuits ?

Aimer est un labeur qui, parfois, trouble le décor de bourrasques solitaires en cyclones de porcelaine : aimer à deux déplace les atmosphères dans des combats d'éclairs et les corps célestes s'éloignent vers les marais salins. Je promène mon âme sur ton petit infini, remonte les méandres du torrent, m'accroche aux rives escarpés ; je gravis les collines pour assaillir le fortin. Quel délice de faire le siège de ton palais des mille et une nuits où court le sang des amants éconduis dans des rigoles de bronze ; je deviens alors le fantôme de tes fêtes nocturnes.

Femme, je t'ai choisi.

Habib'ti, amour, tu es cette parcelle de sable fin que j'aime et qui brille au soleil de midi.
Tes hanches libéreront le fruit promis pour qu'il proclame l'amour entre les hommes et que le soleil ne cesse à jamais de briller sur la paix retrouvée. Mon coeur pourra alors s'éteindre au soir
du printemps car tout sera accompli au nom de tous les miens et en hommage à tous ceux que la mémoire se refuse à nommer. Et parmi tous ces cris, ces chants, cette foule, englouties nos âmes se reconnaîtront et après un nouveau pas de deux, puis rien puis tout, nous aurons repeint la vie.


Robert Trebor et Michel ? - 17-06-1987



Une maison liban



Souvenirs …

Voilà qu'avec Michel (dont j'ai malheureusement oublié le nom), nous en étions à je ne sais combien de cafés. Nous étions dans l'arrière salle d'un petit troquet du quartier Latin, pas très loin de la fac. Penchés depuis plusieurs jours sur divers textes dont nous avions meublé quelques feuillets "cultureux"  généreusement distribués, nous étions avec Michel (jeune étudiant d'origine Libanaise), à écrire cette rencontre imaginaire. Ses origines allaient bien m'aider, car si j'avais déjà bien avancé le texte, sa culture du pays allait lui donner une toute autre tournure. Le Liban était en pleine déroute, ravagée par une guerre qui n'avait que trop durée. Amour et paix nous semblaient bons à promouvoir, excellents analgésiques pour la détresse des nombreux réfugiés.. Le texte connu un certain succès et trouva même quelques lecteurs au Liban.

Nous avions hésité  à orthographier Bécharré tel qu'il l'est au Liban. Bcharré, village Phénicien où s'exploitait le cèdre, devint plus tard une place où se réfugière les chrétiens maronites, percécutés. L'accent marqué des Bcharriotes vient de ce qu'ils parlaient encore il y a peu l'Araméen.

L'asabiyya est la « cohésion sociale » en arabe.  Il désigne la solidarité sociale en mettant l’accent sur l’unité, la conscience groupale, et la cohésion sociale.