Le cèdre symbole du Liban
De la
terre d'Orient, majestueuse beauté, du sable éternel est née la femme que
j'aime et qui m'aime. De ce pays des contrastes issu de la nuit du destin, une âme nouvelle,
et pure, et belle, est descendue du
ciel pour réconcilier tous les hommes dans le respect de la tradition.
De ton courage, mon amour, je me nourris pour brandir fièrement le
sceptre de la justice au nom du
pardon. Car mon coeur saigne de tous ces hommes qui se perdent dans le miroir
sans tain des imposteurs.
Du cèdre de Bécharré, austère et solitaire, tu as la détermination, des
genêts sauvages du Chouf, tu
incarnes les couleurs vives, de la source d'Adonis jaillissant de la grotte
d'Afqa tu as la force et le
caractère tantôt vert et cristallin ou sanguin et violent.
Personne ne se préoccupait de mon coeur perdu parmi les méandres des
forêts inhumaines de béton armé, sous les reflets amers du soleil insolent et
moqueur qui ne laisse que ton ombre porter sur mes illusions perdues. C'est alors que tu es partie du sanctuaire d'Allah,
couronnée d'images de cimes enneigées, de vallées étroites et de mer, et j'ai
senti l'odeur des résines et de l'encens, de l'ambre et du musc, recouvré
l'écorce noire aperçue dans le bois sacré sur tes cuisses frôlées, les veines
résinifères aux fibres courtes, et senti ce grain si fin, tendre et précieux,
et alors je t'ai aimé.
Mon amour, tu es fille de l'Orient, ton corps est de sable fin qui se
forme sous mes doigts, du vent tiède
qui souffle dans mes cheveux, de myrrhe âcre qui m'enivre les sens et brûle ma
volonté.
Tes yeux
regardent le désert et dessinent les dunes, tes bras s'ouvrent sur les forêts
de cèdres et tracent
des canyons, l'eau et la terre, tes seules richesses, se fondent dans ce Liban
de neige et de feu,
ce paradis maudit si proche de l'enfer.
Danseuse, ton corps fend le tissu pourpre de ta robe pour mieux
disparaître aux regards des hommes ; c'est toi qui garantit seule cette beauté
sauvage avant de t'assoupir entre mes bras, bercée par le chant des cigales, qui pour t'être agréable écartent la nuit et
couvrent le vent, pour laisser le
rêve prendre place au creux de ton coeur. Le vacarme était rouge, la nuit sèche
et épaisse. Frissonnant, le mois d'octobre fût une coccinelle quand, par-delà
les murs de pierres, mon amour, tu transportas ton âme du Levant en Provence.
Tu allais par les chemins du travail routinier, dossiers portés au pinacle de
la souffrance des hommes dans ce temple de verre dressé au nom de la
connaissance, automate au service des petits chefs des bureaux annexés. Que
j'ai adoré tes inclinaisons polyglottes, ta peau d'albâtre, tes yeux clairs et
le soleil de ton rire, et ta bouche, perle ourlée offerte à mes caprices.
Notre
maison dans la rosée du matin, ruelles ombragées, des draps froissés, de plumes
envolées, quelle
vérité de notre amour interdit s'envolera de notre vie, pour finir entre les
horizons de l'ordre
et du sommeil ?
Dorénavant, mon amour, nous serons chez nous là où les cedrus libani
peuplent les montagnes noires en ta chambrée déjà flottent des anémones
sauvages, pour t'accueillir est venu le printemps nu aux bras chargés de fleurs.
Tel un papillon suspendu au gré des caprices du vent, ta blanche main
s'envola vers le jour naissant d'une
vie nouvelle et la lumière entra comme une rose éclose au seuil du jardinet.
Couleur de Phénicie ma vie
s'illumina des neiges éternelles.
Voilà
poindre l'aurore : la nuit, doucement, a chu entre tes caresses de jour et tes
yeux de soleil, aujourd'hui
déboule des montagnes noires et nul ne pourra stopper la fureur du jour qui
s'impose.
Rien ni personne ne se dressera devant le torrent de tes bras, ni moi,
pas plus que la fatigue sur tes épaules,
mon amour ; tu es la magnificence du temps qui passe, comme l'éclair purifie le
ciel noir de sa blanche zébrure
pour éclairer les ténèbres du destin de l'ange céleste, car c'est à toi que le
ciel a donné des ailes pour te
porter jusqu'à moi. Mystérieuse révélation, tu as été le démon de mes plaisirs.
C'est
pour cela que j'écris ces mots épars le jour, et que je les offre à la criée
des chemins de vie la nuit,
dédiés à ta chair où la clarté du fusain repeint les lignes obscures.
La guerre civile libanaise
L'homme et la femme amoureux ne font qu'un même songe, une perle de
rosée, une seule, accrochée à la rose des sables. Leur unique ombre glisse
derrière eux lorsqu'ils descendent du lit pour gagner la rive. La vérité des amants heureux se porte sur leur visage : ils
sont liés par l'asabiyya, l'esprit de corps des légions arabes, cet honneur qui
n'a pas déchiré la paix mais porté les paroles au-delà des fusils pour réunir
tous les frères ennemis.
Il n'y a
donc aucune immobilité. Tout n'est que mouvement perpétuel, et du dévoilement
naquit la lumière exhortée des nuits abyssales, lorsque enfin tu me fis mander
et me demandas de venir avec toi.
Pour
moi, désormais, il n'existait plus de nuit sans lune car l'étoile céleste
brillait au cœur de ma vie au-delà de la mort et du vide. L'algie du désespoir que
ressent le solitaire qui marche vers un improbable destin avait disparu à l'approche de ta bouche, et les
saignements de mon âme piquée des
ronces de l'amertume avaient fertilisé les champs de compassion que mon coeur
cultivait par delà les limites du monde, en secret des hommes, pour les aider
malgré eux et les choyer en dépit de leur vanité. Alors de nouveau ma bouche a senti jaillir l'eau verte et
cristalline qui a noyé les ronces et
les chardons brûlés, et purifiés les rues où clament à pleine poitrine les
chants de gloire.
Al
Safina, le navire de la Rédemption largua les amarres dans la nuit étoilée et
flottent les amants sur les
pétales des oeillets et des lys sauvages que la foule lance par poignées.
La mer vient à toi pour te baigner les pieds et parfumer tes pas moulés
dans le sable fin ; tu es femme et
la flamme éclaire ton coeur pour te mener vers les prairies de la fécondité.
Fasse le ciel que rien ne vienne
te tourmenter, pas même l'éclat du soleil ! L'amour se doit d'être le printemps
de ta vie et loin tu te dois
d'être belle, évanescente à l'écume d'argent. A la lueur de la lune d'Orient ta cuisse inondera les terres et les anges
reconnaîtront sur l'éternel cristal ta beauté magnifiée
par l'enfant que tu porteras.
Loin de toi il m'est impossible de ne pas te rechercher chez toutes les
femmes, emporté par les remous, captivé
par les rapides des torrents féminins, pour un regard, des cheveux au vent, une
cheville fragile, je te vois, je suis le pénitent privé de sa Rédemption de
grâce. Je crois parfois, soudain, apercevoir ton pas dans la foule, vif,
volontaire, il m'entraîne derrière l'ombre de l'amphore, ou bien est-ce ta
chevelure qui ondoie entre les carrés de soie, et je vois le feu de ton image
brûler entre la mer de mes yeux. Je fouille les visages, aucun n'a ta
respiration ni ta splendeur, ton teint de princesse, tes traits oblongs de Phénicie, non, pas une ne possède cette jouvence
première. Toi seule tu es toutes, toi
seule tu es pour moi, et quand enfin je t'ai rejoint, alors je peux naviguer
sur le delta en jupons de la mer
de la fertilité.
Nos
nuits éblouissantes se déroulent par delà les flots, si denses en nos coeurs
comme une rose
des
sables ou la magnificence du nectar ponctué d'amertume fortifie l'édification
de notre amour.
Tu es
femme, pomme d'amour, rose de miel, douce effluve marine, argile façonnée de
soleil. Entre tes bras palpitent les fruits de la passion, mais quel est donc
ce souffle chaud qui hante mes nuits ?
Aimer est un labeur qui, parfois, trouble le décor de bourrasques
solitaires en cyclones de porcelaine : aimer à deux déplace les atmosphères dans des combats d'éclairs et les
corps célestes s'éloignent vers les
marais salins. Je promène mon âme sur ton petit infini, remonte les méandres du
torrent, m'accroche aux rives escarpés ; je gravis les collines pour assaillir
le fortin. Quel délice de faire le siège de ton palais des mille et une nuits
où court le sang des amants éconduis dans des rigoles de bronze ; je deviens
alors le fantôme de tes fêtes nocturnes.
Femme,
je t'ai choisi.
Habib'ti,
amour, tu es cette parcelle de sable fin que j'aime et qui brille au soleil de
midi.
Tes hanches libéreront le fruit promis pour qu'il proclame l'amour
entre les hommes et que le soleil ne
cesse à jamais de briller sur la paix retrouvée. Mon coeur pourra alors
s'éteindre au soir
du
printemps car tout sera accompli au nom de tous les miens et en hommage à tous
ceux que la mémoire se refuse à nommer. Et parmi tous ces cris, ces chants,
cette foule, englouties nos âmes se
reconnaîtront et après un nouveau pas de deux, puis rien puis tout, nous aurons
repeint la vie.
Robert Trebor et Michel ? - 17-06-1987
Une maison liban
Voilà qu'avec Michel (dont j'ai malheureusement oublié le nom), nous en étions à je ne sais combien de cafés. Nous étions dans l'arrière salle d'un petit troquet du quartier Latin, pas très loin de la fac. Penchés depuis plusieurs jours sur divers textes dont nous avions meublé quelques feuillets "cultureux" généreusement distribués, nous étions avec Michel (jeune étudiant d'origine Libanaise), à écrire cette rencontre imaginaire. Ses origines allaient bien m'aider, car si j'avais déjà bien avancé le texte, sa culture du pays allait lui donner une toute autre tournure. Le Liban était en pleine déroute, ravagée par une guerre qui n'avait que trop durée. Amour et paix nous semblaient bons à promouvoir, excellents analgésiques pour la détresse des nombreux réfugiés.. Le texte connu un certain succès et trouva même quelques lecteurs au Liban.
Nous avions hésité à orthographier Bécharré tel
qu'il l'est au Liban. Bcharré, village Phénicien où s'exploitait le cèdre, devint
plus tard une place où se réfugière les chrétiens maronites, percécutés.
L'accent marqué des Bcharriotes vient de ce qu'ils parlaient encore il y a peu
l'Araméen.
L'asabiyya est la « cohésion
sociale » en arabe. Il désigne la solidarité
sociale en mettant l’accent sur l’unité, la conscience groupale, et la cohésion
sociale.
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