Quelques moments de réflexion dans un domaine qui m'a longuement accaparé. Tout est parti, de cette image, juste ci-dessous...
Un sentiment de déjà vu pour beaucoup !
En démocratie, la propagande, la communication politique et la manipulation sont des notions qui servent à caractériser la circulation des discours politiques entre les professionnels de la politique et les citoyens, au moyen des médias de masse et avec un objectif de persuasion ou d’imposition de sens.
Ces termes présentent toutefois une particularité : leurs usages dans la littérature scientifique ne sont pas équivalents, un peu à la manière de ce que l’on peut observer dans le discours des responsables politiques ou des journalistes. Les trente dernières années constituent une période particulièrement pertinente pour observer ce phénomène. En effet, la tension entre les catégories « propagande » et « communication politique » est devenue particulièrement manifeste dans les années quatre-vingt, décennie caractérisée par la construction de la communication comme catégorie d’analyse dominante, dans la sphère politique et au-delà. Cette tension se cristallise autour de la notion de manipulation, c’est-à-dire de la potentialité d’influencer et de transformer (to spin) les idées ou les comportements des citoyens sans qu’ils en aient conscience, en s’adressant à leurs émotions plutôt qu’à leur raison ou encore en faisant usage du mensonge ou de la désinformation. Autrement dit, la référence à la manipulation, péjorative depuis l’invention du sujet politique au 18e siècle (D’Almeida, 2005), conduit à disqualifier les pratiques et les discours politiques.
Les études qui portent sur propagande, communication et manipulation depuis trente ans, en France, peuvent être analysées à partir de leur positionnement relativement à cette tension entre propagande et communication : trois perspectives sont ainsi distinguées dans ce texte. On rend compte tout d’abord des travaux qui explicitent le remplacement de la propagande par la communication politique ; ensuite, des travaux qui s’attachent à mettre en évidence que la manipulation des discours politiques n’a pas disparu de l’espace public démocratique et qu’elle lui est même consubstantielle ; enfin, des travaux qui s’attachent plutôt à analyser les contraintes de fabrication, de circulation et de réception des discours politiques dans une société de « relations publiques généralisées » (Miège, 1997).
La thèse selon laquelle la manipulation et la propagande n’ont de pertinence que dans le cadre démocratique a été particulièrement développée par Philippe Breton. Le caractère libéral du régime démocratique, son utilisation par définition limitée de la coercition mais encore la dimension concurrentielle de la sphère publique rendent nécessaire la mise au point de « méthodes spécifiques de conquête du consensus » (Breton, 1997, p. 72) et de techniques de manipulation de la parole. De manière apparemment paradoxale au regard du sens commun, la manipulation des discours est définie comme étant plus caractéristique des régimes démocratiques que des régimes totalitaires. Sur un plan plus strictement linguistique, la manipulation est distinguée de l’argumentation en ce qu’elle pratique l’amalgame ou, pour reprendre l’expression d’Aristote, « le parler hors de la cause » (Breton, 2003).
La mise en perspective de trente années d’études sur discours politiques, propagande, communication et manipulation conduit à revenir sur la mobilité des frontières existant entre ces catégories. À certains égards, les travaux dits scientifiques ou académiques paraissent traversés par des enjeux normatifs, autrement dit par un clivage entre ce qui est conforme aux idéaux démocratiques (la liberté d’expression et de circulation de tous les discours politiques) et ce qui ne l’est pas (la manipulation), à la manière d’autres discours qui leur sont contemporains et qui peuvent être qualifiés d’indigènes parce qu’ils sont portés par des acteurs sociaux impliqués dans la mise en œuvre de ces phénomènes (responsables politiques, journalistes, communiquants). Autrement dit, la tension entre propagande, communication et manipulation apparaît révélatrice de l’hiatus entre le présupposé d’un idéal démocratique et ses conditions de réalisation, mais encore d’une confusion entre la démocratie comme modèle, d’une part, et comme forme politique complexe, d’autre part.
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