dimanche 11 décembre 2016

La chanson et la mort de Roland ( Poésie )

C'est d'une anthologie de la poésie Française de Raymond Jacquenod (chez Pierre Bordas et Fils) que j'ai tiré enfin le savoir pour élucider les vers de la chanson de Roland. J'avais bien cherché fut un temps ce que ces vers pouvaient recevoir comme traduction dans notre langue contemporaine, mais j'avais vite renoncé.

Il me restait juste ce bout de papier griffonné des quelques mots : "Li coms Rodlanz se jut dessoz un pin, Envers Espaigne en at tornét son vis. De plusors choses a remembrer li prist :......"

C'est dans l'histoire de la poésie, de l'époque médiévale à nos jours, que le sujet m'est revenu. ET j'ai entre temps, pour quelques francs d'alors, trouvé chez un bouquiniste des quais Parisiens, la clé du mystère. R.T.






De la Chanson de Roland date la véritable éclosion de notre poésie. C'est une chanson de geste — du latin gesta: hauts faits —, la plus belle de celles qui nous ont été transmises. Son texte date des environs de 1170, manuscrit conservé à la bibliothèque d'Oxford, signé d'un certain Turold, dont on ne sait pas s'il est l'auteur ou seulement un copiste. Les savants du XIXe siècle qui ont commencé à s'intéresser aux épopées médiévales ont d'abord cru (Wolf, Paris) qu'elles étaient nées de chants populaires anonymes, cantilènes reprises un jour et organisées en "cycles" par des poètes de métier, tels ces jongleurs, trouvères ou troubadours, qui allaient de château en château distraire l'ennui des seigneurs entre deux campagnes guerrières. Mais une théorie plus récente, celle de Joseph Bédier, tend à montrer que les chansons de geste sont en rapport étroit avec les grands pèlerinages, particulièrement avec les monastères qui jalonnent la route de Saint-Jacques-de-Compostelle ; les clercs y narraient volontiers aux voyageurs des épisodes édifiants, s'aidant pour les illustrer de certaines œuvres d'art, ou, mieux encore, de reliques, supports dont leur récit était en quelque sorte le commentaire ; ils constituaient ainsi peu à peu un fonds épique que les pèlerins recueillaient, méditaient et diffusaient à leur manière, jusqu'au jour où quelque poète savant se révélait capable d'en tirer une œuvre suivie, une chanson de geste dans sa forme littéraire achevée.

Sans qu'on puisse considérer cette hypothèse comme définitive, il faut reconnaître avec Joseph Bédier (philologue romaniste, spécialiste de la littérature médiévale) que la Chanson de Roland est une œuvre savante et d'une composition parfaite, qui raconte admirablement l'épisode de l'expédition conduite en Espagne par le jeune roi Charles, le futur Charlemagne, et, avec un grandissement épique, l'embuscade qui anéantit l'arrière-garde de son armée, commandée par Roland, le 15 août 778, à Roncevaux.



La mort de Roland


Trahi par Ganelon, son parâtre, Roland s'est volontairement exposé, avec l'arrière-garde, au danger d'être assailli par les Sarrasins. Avec sa modeste troupe, mais combien vaillante, il fut aux prises avec une armée de quatre cent mille infidèles. À la fin du combat, Roland, qui a vu mourir son compagnon Olivier, le frère de la belle Aude, sa fiancée, n'a plus auprès de lui que Gautier et l'archevêque Turpin, en face de quarante mille ennemis qui n'osent pas se mesurer à eux. Gautier tué, Turpin blessé, Roland est seul désormais. Il s'est rompu la veine de la tempe en sonnant de son olifant pour avertir, trop tard, le roi Charles ; il a cherché en vain à briser sa bonne épée Durendal. Il se couche pour mourir.

Li coms Rodlanz se jut dessoz un pin,
Envers Espaigne en at tornét son vis.
De plusors choses a remembrer li prist :
De tantes terres corne li ber conquist,
De dolce France, des ornes de son ling,
De Charlemagne, son seignor, quil nodrit,
E des Franceis dont il est si cheriz.
Ne puet muder ne plort e ne sospirt ;
Mais sei medesme ne vuelt metre en oblit :
Claimet sa colpe, si priet Dieu mercit :
"Veire paterne, qui onques ne mentis,
Saint Lazaron de mort ressurrexis
E Daniël des lions guaresis,
Guaris de mei l'aneme de toz perilz
Por les pechiez que en ma vide fis ! "
Son destre guant a Dieu en porofrit,
E de sa main sainz Gabriëls l'at pris.
Dessour son braz teneit 10 chief enclin :
Jointes ses mains est allez a sa fin.
Dieus li tramist son angele cherubin
E saint Michiel de la mer del peril ;
Ensemble od els sainz Gabriels i vint ;
L'aneme del comte portent en paredis.


(CLXXVI)

Voici une traduction vers à vers rythmée en décasyllabes.
Noter que la syllabe muette ne compte pas à la césure dans la poésie médiévale. (Voir : De plusieurs chos(es) à remembrer li prist).

Comte Roland est couché sous un pin ;
Envers l'Espagne a tourné son visage.
De plusieurs choses vient à se souvenir :
De tant de terres que le baron conquit,
De douce France, des gens de son lignage,
De Charlemagne, seigneur qui l'a nourri,
Et des Français dont il est tant aimé.
Ne peut garder qu'il ne pleure et soupire.
Mais il ne veut soi-même s'oublier :
Il bat sa coulpe, à Dieu demande grâce :
"Dieu, mon vrai père, qui jamais ne mentis,
Et saint Lazare des morts ressuscitas,
Qui des lions as protégé Daniel,
De tout péril veuille guérir mon âme
Pour les péchés que j'ai faits dans ma vie."
Son dextre gant, il a offert à Dieu,
Et de sa main, saint Gabriel l'a pris.
Dessus son bras tient sa tête penchée,
À jointes mains est allé à sa fin.
Dieu lui envoie son ange chérubin
Et saint Michel du péril de la mer ;
Saint Gabriel est venu avec eux ;
L'âme du comte portent en paradis.












1 commentaire:

Anonyme a dit…

Remarquable. Me suis jamais posé la question ainsi alors que je ne comprenais pas exactement ce poème (oui, de geste)
Yves GALO