lundi 5 décembre 2016

Libération sexuelle... ( Réflexion )


J'étais totalement absorbé par le sujet à  réfléchir sur le comment et pourquoi de cette question de la libération sexuelle et la liberté de disposer de son corps, quand je suis tombé sur cette article de Christine Le Goaré, co-fondatrice du réseau féministe et laïque Les VigilantEs.


Un point de vue qui se respecte et témoigne des engagements de l'auteur, que je n'hésite pas à vous faire connaître aussi sur cette page.
Je crois indispensable, si la ou les questions du féminisme vous captent, d'aller voir ICI son blog "irréductiblement féministe !". Un blog vivant et très intéressant.



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Liberté, quelle liberté, où en sont les femmes ?

Entre timides battues en brèche, violents retours de bâtons, le système patriarcal contre lequel nous sommes mobilisé-e-s, détient probablement le record de longévité des systèmes d’oppression. Il sévit dans tous les domaines mais affectionne particulièrement l’intime et la sexualité.

Je me suis souvent demandé comment s’étaient débrouillés les hommes pour que le mouvement de libération sexuelle des années 60/70, leur profite autant ? Il n’est pas question de le nier, les droits et libertés des femmes ont progressé à partir des années 60, mais nombreuses sont celles qui ont fini par l’admettre : la libération des mœurs sans égalité réelle femmes-hommes jetait comme une ombre au tableau. Les femmes se devaient surtout d’être en permanence disponibles et enthousiastes, sous peine d’être considérées comme de mauvaises coucheuses. Alors, libération sexuelle oui, mais dans les limites imposées par la domination masculine.

Après plus de 40 ans la situation a certes évolué mais je ne suis pas certaine que dans leur majorité, les femmes s’en sortent vraiment mieux. Le patriarcat n’en finit pas de s’éterniser, les femmes n’ont toujours pas gagné l’égalité, encore moins leur liberté. Un peu partout, les droits reproductifs dont l’avortement sont menacés, limités ; des millions de femmes sont toujours enfermées dans les mariages forcés et la prostitution.
Nos sociétés phallocrates essayent bien de nous faire croire que tout va pour le mieux : que les femmes orientales se satisferaient de la soumission et que le voile les protègerait ; que les femmes occidentales s’éclateraient de la Lolita à la Couguar !
En réalité, de manière plus ou moins subtile, partout des femmes résistent aux humiliations et aux violences. Dans les sociétés occidentales, l’hypersexualisation des petites filles et la chosification / pornification des femmes s’impose massivement et à une vitesse fulgurante.
C’est le leurre qu’a trouvé la domination masculine pour continuer de nous contrôler et imposer sa volonté. Des femmes libérées, fort bien, mais qui plaisent aux hommes !

Finalement, la Suède, reste l’un des rares pays a n’avoir pas gommé le caractère féministe de la révolution sexuelle ; elle a notamment choisi d’abolir la prostitution, c’est-à-dire de ne pas inquiéter les prostituées qui, sans craindre d’être arrêtées, peuvent porter plainte en cas de violences ; mais de condamner le proxénétisme et l’achat de services sexuels, pour instaurer l’égalité femmes-hommes et promouvoir l’indisponibilité marchande de l’être Humain.

Dans un tel contexte, quelles sont les libertés sexuelles des femmes ?

Peut-être faut-il commencer par poser le postulat que jamais, personne, n’est totalement libre. Notre naissance, notre cadre de vie, nos rencontres, nous font et défont constamment. Les institutions sont déterminantes, l’enseignement, les valeurs républicaines et/ou religieuses, politiques, syndicales sont des moules.
Bien sûr chaque personne dispose d’une marge de manœuvre et opérera des choix tout au long de sa vie ; des choix cruciaux, mais jamais en dehors du regard des autres ni des codes des groupes d’appartenance et/ou de rejet. Un « sans abri » est aussi libre que moi, mais de quoi est-il ou elle, libre, exactement ? Suis-je aussi libre que d’autres qui détiennent des moyens que je n’ai pas (âge, revenus, formation, qualifications, réseaux sociaux/politiques, etc.) ?
Dans bien des situations, ce n’est pas la liberté qui protège les personnes vulnérables ou fragiles, mais la loi, le cadre social, les références culturelles et morales ou leur absence.

Rappelons aussi que les espaces de liberté sont de nos jours de plus en plus réduits. Notre imaginaire aussi est colonisé. Les industries du sexe, les plus inventives et prolifiques qui soient, savent se vendre : omniprésentes, elles influencent toute notre culture : la représentation hypersexualisée des femmes et des petites filles dans la mode, la photographie, le roman, le cinéma, etc., ce sont elles.
Elles servent les fantasmes masculins et séduisent nombre de jeunes et moins jeunes femmes, elles leur racontent qu’elles sont libération et émancipation.
L’hétérosexiste industrie du sexe formate et tient sous contrôle la sexualité des femmes comme celle des hommes ; elle répond aux attentes, quand elle ne les crée pas, de consommateurs mâles, toujours plus exigeants et violents. Même quand des lesbiennes se lancent dans la production pornographique, il est rare que les codes de domination / soumission qui prévalent dans la très normative industrie du sexe, soient vraiment questionnés.
Yolande Geadah a écrit : « La banalisation de la pornographie, conduit à la “prostitution de la sexualité”, à travers laquelle la sexualité est pour ainsi dire confisquée par l’industrie du sexe, qui réussit à imposer partout sa culture pornographique. De marginale qu’elle était, la prostitution devient ainsi la nouvelle norme sexuelle, encouragée et mise en valeur très activement par l’industrie du sexe. »

Paradoxe invraisemblable, de plus en plus de femmes, influencées par les industries du sexe, réclament le droit de se pornifier et de se prostituer au nom du féminisme et de la liberté à disposer de son corps !
Seulement voilà, quand les féministes des années 60/70 défendaient le droit de « disposer librement de leur corps », elles réclamaient l’imagination au pouvoir et non le carcan des normes d’une industrie, elles revendiquaient une sexualité libre et gratuite, hors des contraintes du mariage « traditionnaliste » (devoir conjugal et maternité), elles voulaient jouir d’une sexualité de désir et de plaisir, d’échanges dans l’écoute de soi comme de l’autre.
Elles réclamaient une contraception libre et gratuite et la légalisation de l’avortement. Ces slogans ont été récupérés, détournés aux fins de chosification et de marchandisation des corps (des êtres en réalité, car le corps n’est pas dissociable).
Liberté et libéralisme ce n’est pas pareil. Comme l’a si bien dit Richard Poulin : « La prostitution prétendument “libre” relève du libéralisme et non de la liberté ».

Personne ne l’ignore, dans leur écrasante majorité, les femmes prostituées sont de classes sociales défavorisées, racisées (déplacées de leurs pays d’origine, réfugiées, immigrantes clandestines), souvent victimes d’un accident de la vie, souvent elles ont été violées, parfois elles cumulent plusieurs de ces situations. Les pays qui ont légalisé la prostitution le reconnaissent un par un, et le dernier en date, l’Allemagne : les violences et les agressions augmentent.
Dans un Rapport remis au gouvernement en 1997 dans l’Etat de Victoria, il était déjà écrit : « La légalisation, loin de protéger les prostituées, ne fait que légitimer le droit des hommes à abuser sexuellement des femmes ».
Comment un état peut-il à la fois lutter contre le harcèlement sexuel et organiser un marché du sexe dont il taxe les revenus ? L’état lutte contre les violences faites aux femmes mais il organiserait et cautionnerait un système de domination et de violences sexuelles, auquel accéder moyennant finance ?
Le paiement, cette « ruse de la domination », a dit l’anthropologue Françoise Héritier. L’argent, qui nourrit le système prostitueur légal comme illégal, garantit aux hommes d’accéder aux femmes, quand bon leur semble.

Par quel paradoxe, les libertaires et antilibéraux qui dénoncent la « marchandisation » envahissante, sauf lorsqu’il s’agit des femmes, en arrivent-ils à envisager, au nom du principe à disposer librement de son corps, de légaliser les violences sexuelles du système prostitueur ? Pour organiser l’exploitation et les violences, il suffirait d’appeler les prostitué-e-s « travailleuses du sexe » et le tour serait joué ? Pour accepter que des femmes subissent la dissociation émotionnelle ou anesthésie mentale, indispensable pour supporter de se prostituer et d’y retourner chaque jour, il suffirait donc de brandir le sésame du « libre choix » ?
A quoi bon s’interroger sur le respect de l’intime et de la dignité, ne pas occulter le traumatisme des violences sexuelles subies avant l’entrée dans la prostitution et sa fossilisation ensuite, c’est tellement complexe, alors que le « libre choix », c’est tellement plus simple !

Malka Marcovich, militante abolitionniste a écrit : « Le corps n’est pas une marchandise et il conserve des traces. Des pénétrations à répétition, sans désir, même avec vaseline, ne laissent pas indemne. »
Mais nos champions des libertés préfèrent complaisamment prendre fait et cause pour une minorité d’escort-e-s activistes, micro-entrepreneurs non représentatifs. (+ de 90% des prostituées veulent en sortir, mais le lobby pro-prostitution, comme les médias ne s’intéressent qu’aux 10% restants).
Entretenir des fantasmes, c’est tout de même beaucoup plus sexy ! Oui, des anti-libéraux, des Verts favorables à la décroissance, des progressistes, peuvent quand il s’agit de sexualité et domination, se rendre complices d’un système criminel d’exploitation et de violences inouïes qui génère toujours plus de profits.
Et ce ne sont pas les puritains, depuis toujours défenseurs de la prostitution qui vont leur donner tort ! « La morale puritaine bourgeoise, inspirée du christianisme, selon laquelle l’idéal féminin réside dans la virginité ou la maternité, interdit les relations sexuelles libres pour les femmes, mais tolère ou encourage la prostitution pour assouvir les besoins sexuels des hommes célibataires tout en préservant la chasteté des jeunes filles de bonne famille », rappelle Yolande Geadah.
Le pire encore c’est quand de grandes bourgeoises intellectuelles qui ne connaissent rien à la question, grâce à leur notoriété et vernis féministe, prétendent s’exprimer au nom des femmes prostituées. Elisabeth Badinter dans Le Monde (31 juillet 2002) « Redonnons la parole aux prostituées », bien sûr, il n’y a qu’elle qui s’exprime, et ne lui demandez surtout pas de donner aux « survivantes » de la prostitution !

Ceux qui comme Madame Badinter, ne font pas la différence entre libéralisme et liberté, dans une société phallocrate de plus en plus acculturée et dépolitisée, individualiste et vide de sens collectif, compromettent en réalité toute chance d’abolir un jour le patriarcat.
Le libéralisme, les récupérations successives des luttes féministes, l’absence de politiques ambitieuses éducatives et répressives contre les violences faites aux femmes, les ravages de la libéralisation de la prostitution et des industries du sexe, présentées comme apologie de la liberté sexuelle, pèsent sur toutes les femmes ; imposent une plus grande chosification ; instaurent une véritable culture du viol.

C’en est assez ! Non, les femmes ne sont pas toutes vénales, non les femmes ne sont pas toutes masochistes, non les femmes ne sont pas toutes des « putes » et encore moins des « putes féministes » !
Ces slogans misogynes du lobby-prostitution, qui plaisent tant aux hommes et aux femmes qui le soutiennent, sèment la confusion et tentent de faire passer pour libération sexuelle ce qui n’est en réalité que subordination de la sexualité des femmes à la domination masculine et aux dictats des industries du sexe.

Oui les femmes veulent disposer librement de leurs corps, c’est pourquoi elles s’opposent à toute forme de servage. Dans le couple ou le mariage, elles veulent inventer les amours et sexualités qui les épanouissent.
Yolande Geadah a écrit : « Les rapports sexuels dans le mariage ne sont qu’un élément de la vie à deux, important certes, mais qui s’inscrit dans une relation humaine complète et non pas morcelée, comme c’est le cas dans la prostitution ».

Les industries du sexe et la prostitution (non pas « le plus vieux métier du monde », mais bien la plus vieille arnaque patriarcale) ne sont en rien subversives ni libératrices, mais au contraire, juste un enfermement de plus.
Du « plan cul » à la relation de couple, les femmes veulent s’émanciper, libérer leurs désirs et leurs plaisirs autant de la domination masculine que du libéralisme.
Liberté, égalité !


Christine Le Doaré

Note :
« Vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d’échange, de trafic et pouvait s’aliéner. C’est le temps où les choses mêmes qui jusqu’alors étaient communiquées mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises mais jamais achetées – vertu, amour, opinion, science, conscience, etc. – où tout enfin passa dans le commerce. C’est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle, ou, pour parler en termes d’économie politique, le temps où toute chose, morale ou physique, étant devenue valeur vénale, est portée au marché. » Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847, cité par Richard Poulin dans La mondialisation des industries du sexe





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