jeudi 8 décembre 2016

La femme Ange... ( Lecture du Chap. V )

A Nos romanciers féminins,
à Monsieur Alexandre Dumas



LA FEMME ANGE
L'Homme-Femme - La Femme-Homme
par l'auteur de la Société d'amour pur

V


Les chers auteurs, objet de nos critiques, en auront bien peu de souci et se sentiront bien légèrement atteints, du milieu môme de leurs succès et rassurés par leur mérite. Quanta nous, c'est une véritable épreuve. Il est si doux de n'avoir qu'à louer, et de laisser s'échapper de nous, pour refluer jusqu'à eux, les sympathies que les auteurs font naître.

Te souviens-tu, amie, avec quel bonheur nous lisions, parles belles journées d'été, au grand air, Quelques romans des auteurs critiqués par nous aujourd'hui ? — Le dernier surtout nous causa, en ses premiers romans, une émotion que je n'oublierai jamais. —Toute charmée et tout heureuse d'une plume élégante, alerte, nouvelle sur notre horizon, de bon goût, colorée, prenant son vol en des sujets qui promettaient et nous faisaient penser bien au-delà d'eux-mêmes, j'écrivis à l'auteur pour le féliciter, en le nommant Monsieur, heureux qu'un jeune homme eût au début tant de grâce et de
sentiment. Hermine m'enchantait, Jacques et sa fiancée, — tu sais mon goût pour les romans quand je
m'y laisse aller.

Mais le temps se chargeait, l'horizon plus sombre allait influencer nos auteurs. Le sirocco soufflait, et la femme trop faible contre cet accident, croyant l'homme plus fort, le proclamait son Dieu... aucun des auteurs n'y manqua.
De là cet
amour énervant où, pour la femme, il n'est plus de vertu, mais un matérialisme qui, sans merci, la livre tout entière aux impressions inférieures de l'amour, à l'homme, à son pouvoir et à toutes ses hontes : nuls de nos écrivains n'y purent échapper.

Oublier les douceurs, le beau langage, l'enthousiasme, ce fut pour moi chose douloureusement inévi-
table, en face de certains romans : tu les connais. Plus de blanche Hermine là, mais à la place, des types sans grandeur, sans vrai refuge en soi, dans la vertu : toutes les femmes livrées à l'homme, et subissant le cruel ascendant de son fatal
amour.
« Nos plus saintes affections ne devraient pas être exclusives,» nous avait pourtant dit Hermine, qui disait encore à Henry : « Je ne te demande qu'une chose, c'est le dédain des basses jouissances dont se contente le vulgaire. Rien de ce qui est facile ne vaut qu'on y touche...)) —

Ce n'était pas l'avis du chasseur d'anges.— « Que ta devise en fait d'honneur, en fait d'amour,
pour tout enfin soit : Plus haut, toujours plus haut!»

Depuis Hermine, nous attendions quelque beau roman de l'auteur qui justifiât ces paroles, mais il est
encore à venir, croyons-nous, et le grand obstacle, sans doute, c'est la difficulté de charger l'homme de leur réalisation. Nous le voyons peu disposé, en fait
d'amour, en fait d'honneur, à monter haut, toujours plus haut.

Si l'homme échappe à sa noble mission, pourquoi n'en pas charger la femme ?

Nos auteurs jusqu'ici ne l'ont pas cru possible, enchaînée qu'il la voient, enchaînée qu'il la font, chargée
d'amour, oh 1 oui, mais déchargée de tout honneur. Aussi la devise d'Hermine, n'ayant plus cours, est-elle allée dormir en un coin retiré comme la devise d'un antique blason.

Sans notre faible pour Hermine, et dans ce roman môme, nous aurions déjà vu quelques taches au soleil.
La thèse de
l'amour s'y trouve discutée, et l'auteur la résume ainsi : « Si tout est permis à ceux que la passion maîtrise, tout est défendu à ceux qui conservent assez de sang-froid pour la discuter, la mesurer. »
Il s'agit d'une coquette, il est vrai, à qui l'auteur fait la leçon ; mais cette difficulté ne saurait annuler l'importance de la thèse, qu'on ne doit pas résoudre, comme le fait l'auteur, au profit du seul bon plaisir en
amour.

Cela n'est pas possible, car ce bon plaisir là, moins encore que tout autre, ne saurait plus aller avec la liberté, et c'est à dégager les femmes de ce règne néfaste, à leur faire savoir qu'il est bien plus coupable « de s'abandonner sans arrière-pensée que d'accorder ceci et de refuser cela », que tous nos efforts tendent : la Société d'amour pur n'a pas d'autre but.

Nous ne saurions même, de prime abord et sans un examen en quelque sorte individuel, en bannir les
femmes coquettes ; les coquettes, ce corps diplomatique de
l'amour, si grandement compromis et si étrangement composé ! C'est encore, après tout, ce qui tient en respect les puissances avides, et met obstacle à leurs envahissements incessants. Ce sont elles qui maîtrisent et fascinent la bête, dévorante partout ailleurs.
Quant nous aurons reconquis la vertu et les vraies conditions de
l'amour,l'amour pur, affranchi du
sexe, — les coquettes, probablement, deviendront rares et inutiles, mais jusque-là elles doivent rester, pour empêcher la barbarie, la domination complète et le bon plaisir en
amour, de quiconque possède la force, le génie de la guerre, et n'est pas près de vouloir désarmer.

Encore un mot à notre auteur, sur l'un de ses derniers romans, où nous avons fort remarqua les réflexions d'un artiste qui aime une jeune fille sans fortune, mais de cet
amour contenu qui ne permet pas d'épouser. La jeune fille, de guerre lasse., accepte la main d'un industriel de quelque âge, riche, ayant un établissement important.

Son départ de chez sa parente nous est décrit avec tous les brisements de cœur d'une jeune fille qui a rencontré là ce qu'elle aime, et qui suit l'étranger comme épouse. Le voyage froid et glacé en tête à tête de l'époux, l'entrée dans la maison, rien n'y manque, et pas un des lecteurs, pas une même des lectrices, n'est en retard pour conduire à la chambre nuptiale la jeune fille unie à un maître compatissant.
Voici l'épreuve redoutable : "livrer son corps lorsque l'on aime ailleurs !

L'auteur aura quelque chose à nous dire, quelque plainte, un soupir, une thèse peut-être, la réplique à
l'artiste ; il nous dira cette fois pourquoi il est encore moins bon à la jeune fille qu'à l'artiste de ne se pas marier tant qu'elle a quelque
amour au cœur. Elle était difficile, h thèse, j'en conviens, mais il nous en fallait tout au moins quelque chose qui répondît à la situation, à sa moralité. Au lieu de cela, —rien : un silence complet. Il semble même, — que Dieu me le pardonne, et l'auteur, si je me méprends, — qu'après cet attentat légal, il y ait pour la victime comme un heurenx court temps d'arrêt, espèce de lune de miel, une entente tacite après laquelle seulement se retrouve, assoupi, dans le cœur de la jeune femme, l'amour pour celui qu'elle aimait. Nous aurions affaire, on le voit, si nos suppositions sont justes, à la lignée des Raïssa.


Est-ce à cette lune de miel, moins passagère qu'il ne semble, que serait due, à la fin du roman, l'extrême générosité, le dévouement de la jeune femme à son époux mourant, blessé dans une émeute par un ouvrier socialiste tout épris d'elle?
Cette femme, qui a revu celui qu'elle aime, et qui de fait n'a pas failli, a commis le grand crime d'avoir déposé sur quelques feuilles de papier, — dont l'une tomba aux mains de l'ouvrier et fut la cause de la perte du maître, les plaintes et les pensées qui agitaient son cœur. Tel est le crime que son remords doit effacer.
C'est bien exigeant pour une jeune fille épousée contre son gré, et bien vertueux à elle de s'y soumettre.
La générosité quand même de la femme presse moins que la reconstitution et les exigences de sa vraie nature, qui est d'aimer, et non de se livrer à contre cœur, en attendant la rentrée en possession de son être entier dans
l'amour.
Quand le mariage, pour celle qui aime, et par le fait de la possession, devient si souvent une déception fatale à
l'amour même, comment en faire l'occasion de vertus exceptionnelles pour la jeune fille qui lui est livrée par de tristes nécessités?
Je suis jalouse aussi de voir les choses jouer un si grand rôle, et les sentiments un si faible, dans certains romans de nos auteurs féminins. La fatalité et les riens séparent des anges au début de leur affection, offerte en holocauste à
l'amour égoïste, et une feuille de papier envolée, au lieu d'un cœur plongé dans l'amertume, ont tout le mérite du dénouement. Il serait temps d'en revenir au monde des âmes, où de nouvelles qualités se trouvent, ouvrant de nouveaux horizons à la pensée et au talent : nos souffrances de toutes les sortes ont préparé une abondante moisson.
On est surpris d'un tel dévouement aux personnes, chez nos auteurs, quand il n'y a plus le moindre effort tenté pour la défense de principes qui donnaient à la femme une valeur en soi.
Nous peindre, et en tous sens, l'affaiblissement moral de la femme, faire bon marché de son corps, la relever par des vertus d'emprunt, qui ne sauraient être la suite logique de cet affaiblissement, — tel semble être le mot d'ordre actuel de nos romanciers féminins en renom.

Un troisième auteur de mérite n'y a pas manqué, et
c'est encore une de nos déceptions.



Chapitre IV



Aucun commentaire: