mardi 29 novembre 2016

La femme Ange... ( Lecture du chap. III )

A Nos romanciers féminins,
à Monsieur Alexandre Dumas



LA FEMME ANGE
L'Homme-Femme - La Femme-Homme
par l'auteur de la Société d'amour pur

III


Pourquoi n'as-tu pas écrit toi-même, ma chérie, au lieu de nos romanciers déserteur? au lieu de moi, chétive, qui me débats et me tourmente pour chercher à rendre en leur haute expression les sentiments qui lient nos âmes et les pensées qui en découlent? Tu aurais eu tant de talent, tes romans eussent été si beaux !
Parée des qualités réelles de ton cœur et de ton esprit, les ayant conservées intactes, grâce aux barrières qui les défendent et leur interdisent des alliances sacrilèges, tes ouvrages eussent si bien reflété ces trésors de haut prix, ils eussent consolé tant d'âmes ! Car il ne faut pas s'y méprendre, vois-tu : nous vivons les uns des autres par les sentiments et les pensées, et la falsification des produits intellectuels est encore plus la ruine de l'être moral, que la falsification des substances alimentaires n'est une des causes de la détérioration des corps.
Où trouver maintenant un vin généreux, emblème
de tout ce qui fortifie ? Où trouver un vin généreux qui puisse combattre l'anémie morale présente? Est-ce dans nos romans falsifiés du jour? Est-ce dans ces types de jeunes filles sans pudeur au fond de leur être, qui attendent la séduction, la désirent en quelque sorte, et se livrent à la première occasion à celui qui aura daigné faire naître en elles le premier sentiment d'amour ? — Je dis sentiment par habitude, car il s'agit moins de sentiment que d'instinct grossier : tu peux en voir la différence dans la manière de se donner. — Il n'y a même
plus de séduction pour ces types de non-résistance qui ne connaîtront jamais le repentir, ne retrouveront aucune fierté, et ne sauront jamais se consoler.
C'est cet
amour frelaté de toutes parts, ce vin coloré de bois de campêche, mixture de poisons réels, que l'on vient offrir {pourtant au cœur des pauvres jeunes filles pour les fortifier, les réjouir ! — Je voudrais voir toutes les victimes qu'ont dû faire de pareils écrits.
Imitant vite les héroïnes qu'on leur présente, et redevables comme elles à
l'amour, les jeunes filles en
état d'agir et qui ont assez de liberté pour cela, n'ont plus qu'à faire leur roman, à en précipiter l'action, à s'immoler au seul dieu de la femme, sauf, abandonnées bientôt par lui, — ce Dieu qui doit étendre sa providence si loin, — à avoir recours au poison ou à tout autre genre de mort, dont nos romanciers féminins font si grand usage.
Le poison de
l'amour falsifié, l'amour de l'homme, maître et industriel consommé, ayant fait mourir au cœur de la femme le moi, ce moi plein d'honneur, de courage, d'indépendance et de vertu, il est bien juste qu'un autre poison visible les débarrasse d'une vie dont ne se soucie plus leur Dieu.

Non, vois-tu, — et le contraire est une erreur : — c'est tout d'abord avec soi que l'on vit. Le sanctuaire
de notre bonheur, comme celui de notre paix, se trouve dans l'être lui-même : malheur à qui vient l'avilir. — Foin, désormais, pour les femmes, de ces doctrines qui exigent le sacrifice de notre vie, la seule réelle et la seule grande, pour affirmer une grandeur et une vie qui n'ont aucune réalité, ne sont qu'un décevant mensonge.
Tu n'aurais pas fait de même, toi, amie. Aussi, rien ne saurait me consoler de ton silence en ces matières.
J'aurais été ton cher collaborateur, je t'aurais donné les sujets, — excuse ma présomption, ma chérie, — et à nous deux nous aurions conçu quelque type nouveau de jeune fille, que nous aurions élevé ensemble. — Je dis élevé, et pas moins, tout comme on élève un être cher qui a pris vie en notre sein. —Nous l'aurions aimé d'un si grand
amour, cet être, prenant notre temps pour toutes choses, nous gardant bien de rien précipiter, veillant à son développement normal et progressif.
Nous nous serions gardées surtout de l'exploitation trop commune des parents envers leurs enfants. Ce n'est pas nous qui aurions livré ces êtres faibles et sans défense, — comme les enfants de fabriques, — aux fabriques de l'industrie où ils se trouvent réunis, corrompus les uns par les autres. Ce n'est pas nous qui, pour quelque gain, eussions offert en échange nos enfants : Non, notre maternité réelle eût même interprété dans son vrai sens le croissez, multipliez, qui déborde en
littérature.
Ce problème, moins intelligible que jamais, auquel, sous tous les rapports, est aujourd'hui acculée l'humanité, n'eût pas été éludé par nous : nos productions eussent été rares, et elles eussent été parfaites, de cette perfection du moins dont nous aurions eu le double sentiment, qui consiste à faire croître les êtres avant de
songer à les multiplier.

Ne vas-tu pas te prendre de regret, amie, sur ta stérilité volontaire, et ne seras-tu pas inspirée par le
désir de la faire cesser? Moi, j'en serais ravie, et l'idée de servir à ton talent, à ton talent réel, sublime dans le haut but qui le dirigerait, me fait sortir comme de moi- même. Cette âme qui est tienne déjà par le sentiment, la tendresse, la sincérité et le charme du plus pur abandon, s'élèverait à de nouvelles puissances pour aller chercher en ton âme tous les trésors qu'elle contient. Tes sentiments les plus profonds, tes pensées les plus secrètes, seraient pour moi un livre ouvert. Surprise, tu les
reconnaîtrais, tu les accepterais de même, et nous en parerions les êtres qui prendraient vie en tes plus hautes facultés. — Nous verrions bien si les pauvres femmes, si les jeunes filles non moins 'à plaindre, n'ont rien à faire dans la vie et pour bien connaître
l'amour, qu'à se donner à celui qu'elles aiment?— Erreur profonde, tu le sais, puisqu'il faudra ne se donner jamais. L'amour, vois-tu, en ce moment tout avili, tout profané, ce n'est pas moins que l'art suprême que les femmes vont exercer. Cet art exige un long apprentissage qui peut durer même jusqu'au tombeau. Mais il est plein de peines et de charme, car c'est l'amour, à qui tout parle, tout sourit, à qui rien ne suffit, hélas ! L'amour, pour régner en nos cœurs et les diriger sûrement, doit être établi en notre être dans sa force et sa pureté. C'est de là qu'il grandit, rayonne, qu'il est notre vie, notre honneur. C'est là qu'il est impérissable, et c'est de là qu'il trouvera les conditions d'être à l'abri partout, toujours, sachant mourir quand il le faut, mais reprenant vie plus encore.

Réhabiliter
l'amour, tel est l'ordre : Dieu et ses anges combattent avec nous. C'est le grand combat, c'est la guerre qui précède un monde nouveau et l'annonce tout à la fois.
Les blessés, il nous seront chers, car ils venaient pour se reprendre et non plus pour se donner. Les morts..., ils seront notre culte, nous sommes baptisés pour eux !

Il me semble qu'en ce moment même je t'aide à composer un roman, ma chérie, mais tu t'en fais malicieusement l'héroïne, et me voilà déconcertée.


Tout en m'ayant pour collaborateur et pour amie, — et ce mot n'est pas vain chez nous, et il est moins suspect encore, — te voilà prise tout à coup d'un violent amour pour l'un de nos amis, grand séducteur à l'occasion, fort jaloux de notre amitié. — Il devient pour toi séduisant, et plus encore, irrésistible. Tu me demandes comment je veux te tirer de là.
Méchante! ce n'est pas facile, car si tu prends feu, l'incendie sera sérieux.
Eh bien ! j'accepte ma tâche, et je m'identifie, je te le jure, à l'instant même, à la situation.
Tu le vois, me voici toute en larmes, je te pleure comme il m'est arrivé parfois pour quelques êtres dans la vie. Jeté pleure avec désespoir... mais contre ton ensorcellement le don des larmes est sans empire. — Si ta possession augmente, si tu n'as plus ni conscience, ni foi, ni souvenir, ni crainte, ni pensée, aucun vouloir :



« Si, m'oubliant et t'oubliant toi-même,
Abandonnant le Dieu que nous servons,
Je dois te voir en ce péril extrême, »



je te mettrai la camisole de force, je m'étendrai à tes pieds, entends-tu, tu me passeras sur le corps, si tu l'oses ; et après cela, mais après cela seulement, tu t'en iras te donner à cet homme. Pour moi, je ne te verrai plus, c'est le divorce, l'adultère, vraie cause de séparation.

Ecris la fin de ce roman toi-même, car je suis dans la douleur, et c'est une autre incapacité, causée souvent par la première : celle de l'impuissance totale contre la dépossession, par la possession du faux amour, de l'être que l'on chérissait.

La pitié divine descend parfois sur l'une et l'autre de ces infortunes : viens me guérir quand tu ne sera plus possédée.

Reviendras-tu? — Merci! je n'en avais jamais douté.
Cet homme a voulu t'épouser, et tu l'as fui. Le dénouement tout désiré s'est précipité de lui-même. Faire sacrer des rapports odieux/devenus dès lors des devoirs, les faire appeler mariage !.... Jamais !
Je te revois, tu es à ton tour en larmes, tu es à ton tour à mes pieds. Je te relève avec transport, nos embrassements parlent pour nous et effacent tout un passé.
Il ne se peut pas qu'une âme comme la tienne n'ait retrouvé le Dieu qui la créa. Quand la main divine, invisible, touche les cœurs brisés et repentants, —ces descendants des martyrs et des saints, — elle en chasse les maléfices, et les vertus reviennent à l'envi. Parfois on les a vues plus fortes.... Ne nous y fions pas pourtant.
Méchante! tu m'as fait souffrir, et tu me dois d'écrire le roman, puisqu'il s'est passé réellement en moi-même; c'est une production laborieuse, comme il arrive des autres enfantements. Soit, s'il l'a fallu pour te plaire et pour élever mon
amour jusqu'à toi. — Mais prends bien ton temps, de grâce, et ne t'avise plus de vouloir passer par le feu. Peu en échappent et en reviennent, et c'est à trouver le moyen d'empêcher les incendies horribles causés par les communards et les nihilistes de notre temps, sur le grand sujet de l'amour, que nous allons nous retrouver ensemble dans cette union qui fait notre
bonheur.
Je ne te donnerai plus les sujets, tu les trouveras bien toi-même, car tu connais
l'amour libre des hommes, ces communards, je le répète, qui ont mis les femmes en commun et ont su river leurs chaînes dans l'esclavage le plus déshonorant; ces nihilistes,— comptant parmi eux tant de femmes ! — qui nient la vertu, la pudeur, et, la trouvant encore en quelques âmes, la minent et la brûlent.
Tu nous parleras surtout de leur
amour dans la possession. Ce sera ton expiation, chère amie, ets? tu es insuffisamment éclairée, tu t'en iras consulter les victimes cachées au sanctuaire de la famille, ces femmes en si grand nombre mariées jeunes, avec indifférence, contre leur gré ; ces femmes d'une élévation morale se rattachant à la cause de nos libertés : ce sont elles qui de toutes parts t'instruiront.
Dans notre expédition pour la grande cause de
l'amour pur, les ballons captifs, vois-tu, nous viendront les premiers en aide : ils observent l'ennemi de haut.


Chapitre IV


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